« L’amour » de François Bégaudeau, aux éditions Verticales

« L’amour »… Quelle est cette chose dont tout le monde parle, rêve, que tout le monde espère, ou pas ? Un devoir, un destin, une religion ? Une obligation sociétale et morale ? Une injonction ? Et un roman d’amour, c’est quoi ? C’est une passion, c’est « Madame Bovary », c’est « Nadja », c’est « Belle du seigneur », c’est « Un coeur simple », c’est « Les Choses » de Perec ? C’est tout ça à la fois ? Ou rien de tout ça ?

Ici, c’est « L’amour » vu par François Bégaudeau, et c’est déjà ça.

Les livres de François Bégaudeau font sens divers, différents, divergents, et une fois les liens faits entre les mots, les lignes et les livres, un sens alternatif peut s’ouvrir.

Il est particulier pour son regard fin et acéré sur les temps, pour son énergie narrative et son humour, pour ce qu’il dit des gens dont il porte la voix avec une tendresse toujours juste, parce qu’il est souvent dans un recoin sociétal où on ne l’attend pas.

Il a su parler de l’enseignement, de la politique, du consumérisme qui nous ronge, de la perte de sens des mots, de la cruauté, de la maladie, et déjà de l’amour aussi, oui.

Pour ce dernier opus, il fait simple, il fait juste, il fait.

Un livre simple et fin, comme la pensée de l’auteur

Un défi ? Il faut bien l’avouer oui, vu ce à quoi que les romans d’amour nous ont habitués. Car l’amour inspire… Des romans, des films, des jouets, comme un produit à se procurer, quoiqu’il en coûte, qu’on doive tomber dessus par hasard, lui être destiné, lui être accordé, le vouloir ou s’y habituer au fil des jours, qu’on doive l’acheter pour l’avoir, l’amour est réellement un objet, une question sempiternelle et sociétale.

L’amour c’est un truc que veut tout un chacun. Un premier amour, un grand amour, l’amour de ma vie, un truc comme ça. On le sait. Ce qui est aussi étonnant qu’agréable, pur le coup, c’est que là, on entre dans une autre version autour de ce thème.

Un simple titre, un titre simple, qui dit le thème de ce qu’on va lire, deux vies simples, liées, en 90 pages.

« L’amour » est l’histoire d’un duo, « Jeanne et Jacques », toujours dans cet ordre, pas le contraire. Ils habitent dans l’ouest de la France. Elle est secrétaire ; il est paysagiste. Elle collectionne les cartes postales, elle aime les chansons qui la font pleurer ; il fabrique des maquettes. Elle s’appelle Jeanne, et lui Jacques. Ç’aurait pu être d’’autres êtres moyens, ailleurs, une autre histoire pour un lien similaire.

Ce que « l’amour » veut, c’est nous raconter ces deux êtres qui vont passer cinquante ans côte à côte, c’est-à-dire ensemble.

Et le titre dit ça, entre les lignes aussi : ce n’est pas « UN amour » qu’on va nous dire. C’est « l’amour », tel que vécu par des êtres moyens, de classe moyenne, une routine, somme toute, mais enrobée d’une tendresse savamment observée, simplement décrite aussi, qui fait passer les jours, les mois, les années sans s’en apercevoir, même en survolant. Tout un art, à sa façon. À travers « L’amour », François Bégaudeau entend saisir l’insaisissable, comme une carte postale sociétale et désuète.

Ce qui a été l’a été comme ça l’a été. C’est bien de le fixer, quelque part, en mots, en images, de fixer ainsi le temps qui passe, a passé, ne passera peut-être plus comme ça, alors, autant dire aujourd’hui ce lien entre deux êtres, lien qu’on peut nommer « amour ».

Remonter le fil du temps, d’objets, de films, de chansons, le passage d’un milieu ouvrier à une classe moyenne, l’ascenseur social et les Trente Glorieuses, pour laisser deviner les nuances.

« L’amour » naît au moment où Pompidou devient président, dans les années 70, ça marque toute une époque délicieuse à décrire, il faut le dire, avec certes un poil de nostalgie et un sens du dire observateur. Très. Une histoire dans la région de la Loire, aux alentours de Luçon. Là où l’auteur est né, tiens.

On ouvre, on entre avec Jeanne dans cette histoire, on continue. On sait qu’on ne lit une passion sulfureuse, éminemment littéraire et subversive. On le lit pas un couple légendaire, une rencontre qui va bouleverser toute une vie, une passion, Non. On lit un accompagnement.

lls se rencontrent. Ce n’est pas forcément l’homme qu’elle aurait choisi, il y en avait d’autres qu’elle pouvait observer en rêvassant. Lui il se dit qu’il a plutôt de la chance. Ils vont cheminer ensemble. Une histoire banale, mais racontée avec un talent réel pour la rendre belle, comme chaque histoire pourrait l’être.

De simples moments au gré de ces 50 ans de vie commune, quotidienne, cet amour domestique sans forcément de « Je t’aime » à tire larigot, ce co-accompagnement, oui, et ce qui gravite autour de tout ça. Car ils s’accompagneront, jusqu’au bout, du livre et d’eux-mêmes.

Faits l’un pour l’autre, la question ne se pose pas. À la vie À la mort, non plus. C’est… comme ça.

Et c’est, je crois, justement ce qui rend ce livre humblement agréable. Suffisamment bon. Tant de justesse, sans mot en trop.

Avec tout ce que ça comporte d’imperfections (qui croit à l’amour parfait, cela lit), de moments, doux ou pas.

Une vie en commun, avec des détails de beauté, d’agacements, de travers, de non-dits, de blessures, de manques. La conjugalité.

Quelques devoirs, puisque mariage, lien, famille. Il est aussi possible d’en échapper, d’être différents mais de persévérer à s’accompagner. Parce que c’est comme ça, somme toute. On a quelques détails, des moments plus ou moins fugaces. Pas de longs portraits psychologiques, rien d’intense ni de stéréotypé ne nous est raconté. Et pourtant.

« L’amour », toute une vie ordinaire. Leur rencontre, les moments dans la chambre, des moments ici ou là, les dialogues, un peu, les répliques, leurs beaux-parents, leur mariage, l’emménagement, la grossesse, un enfant, le travail, leur travail, une éventuelle incartade, mais qu’importe après tout, leurs vêtements, leurs loisirs, un cocker qui vieillit, lui aussi, la fatigue, la vieillesse et la fin.

Avec tout ce qui existe de beauté dans ce quotidien, sans fioriture, mais une vie émaillée de marqueurs temporels.

Tout en pudeur et ellipses, tout est là, sans en rajouter, des mots modestes, des phrases humbles, comme leurs milieux d’origine, à eux deux. Simples, aussi. Et des souvenirs que le lecteur peut, ou pas, partager : une chanson de Johnny et Sylvie, un concert de Richard Cocciante, une émission d’Europe n°1, une imitation de Fernand Raynaud, et tant d’autres objets disséminés ici et là au fil des jours.

Les téléphones sont à touches, les bouteilles en plastique, les mouchoirs en papier, les têtes d’hommes nues, les machines à coudre envolées, le papier peint suranné, les baguettes tradition, les wagons non-fumeurs, les shorts de foot longs, et Jeanne et Jacques préfèrent le plus souvent lambiner pieds nus sur la moquette qu’ils ont choisie épaisse et vert d’eau.

Un simple titre, un titre simple, qui dit le thème de ce qu’on va lire.

Un livre mince, fin, comme la pensée de l’auteur, qui écrit ici finement, à l’os, comme on dit. Le titre le dit, ça parle d’amour. Ici, on a une histoire. Une vie. Jeanne et Jacques. Leur vie commune. 50 ans de quotidien à deux, 80 pages.

Un défi ? Il faut bien l’avouer oui, vu ce à quoi que les romans d’amour nous ont habitués. Car l’amour inspire… Des romans, des films, des jouets, comme un produit à se procurer, quoiqu’il en coute, qu’on doive tomber dessus, lui être destiné, lui être accordé, le vouloir ou s’y habituer au fil des jours, qu’on doive l’acheter pour l’avoir, mais c’est réellement une question sempiternelle et sociétale.

L’amour c’est un truc que veut tout un chacun. Un premier amour, un grand amour, l’amour de ma vie, un truc comme ça. Mais là, on entre dans une autre version autour de ce thème.

Un récit intime, pudique, des moments, de simples moments, des souvenirs qui mis bout à bout font une vie.

Une poétique de tout ce que la société (surtout de consommation) peut apporter de choses à accumuler.

Nous sommes tous des vies minuscules en quête d’amour, quel qu’il soit, ne devrions rien chercher d’autres, une fois trouvé, accumuler pour accompagner des objets non du désir mais tout court.

Ainsi est faite la société. Sans destin, sans promesse. L’enchaînement simple est trame, voire squelette du texte, avec un pétillant art de l’ellipse, des sourires et des émotions transmissibles.

« Si tu n’es pas vraiment l’amour tu lui ressembles. Jeanne apprécie que son désormais mari ne lui ait écrasé qu’une fois les pieds déjà en compote dans ses escarpins pointus. »

Sans jamais parler d’amour entre eux, l’amour pourtant sera présent pendant toute leur vie. Car amour il y a. Indéniablement. L’auteur n’a pas besoin de le dire, il fait confiance au lecteur, qui sait/sent. Un humble mais intense talent, littéraire, simplement littéraire.

Et la lecture est tendre et sourieuse, même si sincèrement émue, par moments. Surtout à la fin, de ces vies, de ce texte.

Un jour, on est « Jeanne et Jacques », on est vivant, et un jour l’un ou l’autre ne l’est plus. Et pourtant, cette fin, si ordinaire n’est pas un désastre, mais une conclusion poignante. Un autre défi littéraire relevé par l’auteur.

« L’amour », de François Bégaudeau, aux Éditions Verticales

Une réponse à « « L’amour » de François Bégaudeau, aux éditions Verticales »

  1. […] parlent également d’amour : Matatoune, Louise, Nicole, Chantal, Margot, Mademoiselle Plume, Lire ma page, […]

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